Ivanov, héros très contemporain

C’est un Ivanov dépressif, fatigué, malade qui se joue à l’Odéon – et s’oppose en tous points au Platonov énergique et solaire des Possédés à la Colline. La traduction d’André Markowicz et Françoise Morand le rend très actuel.

« A vingt ans, d’office, nous sommes tous des héros, nous entreprenons tout, nous pouvons tout, et à trente, nous sommes déjà fatigués, nous ne sommes plus bons à rien ».

Le personnage de Tchekhov est à l’image de ce paysan, qui, pour épater les filles, a chargé ses épaules de deux sacs de blé. Son dos s’est brisé, il en est mort.

Ivanov jeune était illuminé, charismatique, passionné, passionnant. Il endosse une révolte trop lourde pour lui, sous le poids de laquelle il ploie. Peut-être se rebelle-t-il contre l’ordre établi, plus sûrement contre la médiocrité de ses pairs. Lui qui s’était senti au-dessus de tout le monde, il n’a plus de quoi vivre.

Il s’en prend à sa femme, il devient méchant. Elle assiste – impuissante et coupable – à son échec (ses parents l’ont déshéritée quand elle les a quittés). Mais pouvait-il en être autrement ? « Le réel est l’asymptote des possibles » écrit Victor Hugo dans Les travailleurs de la mer.
Sa femme n’est pas encore morte des suites de sa maladie qu’il la délaisse, et sort le soir, pour tromper son mal-être.

L’amour même le sauvera-t-il ? Sacha veut l’éloigner de ses gouffres, tromper son ennui. L’amour, non, mais la séduction oui, qui fait miroiter un instant l’infini des possibles. Telle la sylphide, le rêve s’évanouit cependant au moment où il tente de l’attraper entre ses mains : si tôt fiancé, ses vieux démons le reprennent, il ne regarde même plus Sacha. Toute deuxième chance est illusoire, semble vouloir dire Tchekhov.

Sacha : « Nikolaï Alexéïévitch, je vous comprends. Votre malheur vient de votre solitude. Vous avez besoin d’avoir après de vous un être que vous aimiez et qui vous comprenne. Seul l’amour peut vous régénérer. »

Ivanov : « Et quoi encore ma petite Sacha ! Il ne manquerait plus que ça, moi, un vieux coq mouillé, j’entame un nouveau roman ! Dieu me préserve d’un malheur pareil ! Non, ma petite lumière, ce n’est pas le roman, la solution. Je le dis comme devant Dieu, je supporterais tout : l’angoisse, la psychopathie, la ruine, la perte de ma femme, la vieillesse prématurée, et la solitude, mais ce que je ne supporterais pas, qui me serait intolérable, ce serait de me moquer de moi-même. »

Il y a dans Ivanov un double mouvement, entre l’envie de s’en sortir et la résignation, entre naïveté et cynisme, volonté de faire des vers et peur du ridicule. Car le plus important, au fond, reste de préserver sa dignité. Il n’y a, pour cela, qu’un échappatoire : le suicide – qui clôt la pièce.

Ivanov est peut-être une pièce sur la jeunesse, écrite à l’âge où l’on sent qu’elle a passé : « Les fleurs reviennent au printemps, mais la joie ne vient pas ». Il ne reste à l’homme qu’à chanter ses douleurs. Et à se remettre au travail, dit Tchekov.

Marie du Boucher

Ivanov, au théâtre de l’Odéon du 7 avril au 3 mai 2015
http://www.theatre-odeon.eu/fr/2014-2015/spectacles/ivanov

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