Par le corps et les mots, écrire la voix de la précarité

Marina Damestoy

Par Julie Rossello, d’après des propos de Marina Damestoy recueillis le 27/11/2013.

Pénélope Perdereau dans A la rue O-Bloque, texte et mes. Marina Damestoy – crédit Marina Damestoy

L’artiste pluridisciplinaire venue des arts plastiques va diriger du 28 mars au 6 avril un stage autour du spectacle « A la rue, O-Bloque » à La Parole Errante – Maison de l’arbre.

Un an et demi que Marina Damestoy promène le personnage d’Ophélie, performé par Pénélope Perdereau, tour à tour, dans l’espace public et en boite noire (dernière date au Théâtre de Belleville, en novembre 2013). La suicidée de Shakespeare devient ici femme contemporaine en état de résistance, jolie jeune fille éduquée, issue d’une famille aisée qui va dériver tel un nénuphar sur les pentes de la société jusqu’au caniveau, dans un sac de couchage aux allures de parachute échoué sur le trottoir. Le territoire de résistance devient un carnet dans lequel elle écrit des fragments de pensées et d’images qui retracent, petit poucet, à la Christophe Tarkos, une trajectoire ; jalons de petits cailloux qui dessinent un toit poétique. Ce spectacle autofictionnel a surgi de notes prises par Marina Damestoy, lors de ce qu’elle a vécu, il y a une dizaine d’années, de la rue.

Art, militance, et théâtre

Issue des Beaux-Arts de Cergy, une école, selon elle, « plutôt conceptuelle » qui la frappe par « l’individualisme de ses élèves », elle va pendant ses années de formation passer par le saint Martin’s College of Art and design à Londres et entre autres, l’Australie, avant de clore sa formation, en cinquième année, par une performance intitulée Manipulation créée à partir d’une autre figure de résistance, Antigone. Elle connaît, ensuite, les friches artistiques, les squats, la rue, devient un temps SDF, avant de quitter Paris pour la Bretagne. Elle reprend des études, un DESS en alternance, parallèlement elle continue à peindre, à écrire, encouragée par l’écrivain François Bon, via son site internet (publie.net). Enchainant les stages, elle lance le mouvement « Génération précaire » qui rassemble de jeunes travailleurs de toute la France qui se regroupent masqués, anonymes, en flash mob ; des rassemblements qui se déroulent en un temps éclair dans des lieux symboliques ou dans des entreprises et dont « l’intérêt n’est pas tant le nombre que de faire passer un message fort » (Sois stage et tais-toi, collectif génération précaire, La Découverte, 2006). Ils peignent des draps blancs, couvrent leurs visages de masques « parce nous sommes tous interchangeables, parce que le stagiaire n’a pas de nom » ; le mouvement va rencontrer en 2005 un fort écho médiatique (Alternatives Economiques ; Le Monde ; L’Humanité ; Le Parisien ; Libération…). L’année d’après, elle contribue activement à créer le « collectif jeudi noir », toujours anonymement. Ce collectif né en octobre 2006 dénonce la flambée des prix des loyers et contribue à une explosion de la bulle immobilière. Par le biais d’actions médiatiques, tels que des squats dans des lieux chics et des visites d’appartements à louer, il attire l’attention des médias et de l’opinion publique. Puis sans quitter ces mouvements militants mais fatiguée par la « guerre des égaux » qui les gangrène, elle rejoint des démarches artistiques : « ça me manquait pendant la militance, une dimension artistique, une mise en perspective, un élargissement du cadre ».

« Lever une armée d’Antigone » dans le métro

Elle travaille à Mains d’Œuvres, lieu de recherche et d’expériences sur l’imagination qui accueille, notamment, en résidence, des compagnies de théâtre. Après avoir accompagné des collectifs, elle décide de repartir de son texte « Mangez-moi » et écrit O. bloqueOphélie, qui devient le troisième volet d’un triptyque questionnant la femme, selon trois figures de résistances : Antigone, Médée et Ophélie (A.M.O., Editions Xérographes, 2013). Elle démarre avec une comédienne une résidence à la Comète 387, un squat qui a brûlé depuis, le spectacle est joué à Mantes-La-Jolie devant une centaine de lycéens qui réagissent très vivement « comme à un match de foot », puis elle promène le personnage d’Ophélie en ville dans ce qu’elle nomme « du tout terrain » qui évoque pour elle, les démarches situationnistes. Dans le cadre de ce stage qui aura lieu dans l’immense grenier de la Parole errante, elle souhaite cette fois utiliser ses textes (O-bloque et Mangez-moi) comme base de travail afin que chacun puisse ensuite « construire quelque chose avec lui-même, écrire sa propre trajectoire et s’approprier la thématique de la précarité », elle souhaite aussi « emmener les stagiaires dans le métro ». L’idée est de mettre en commun des paroles singulières sur cette question afin de construire une œuvre collective ; le projet n’est pas sans rappeler le travail d’Olivier Brunhes et celui de sa compagnie l’Art éclair (Fracas joué du 26 novembre au 8 décembre 2013, lui aussi, au Théâtre Belleville) dont le sous-titre était « spectacle hors-normes » (superbement couvert par Jean-Pierre Thibaudat, blog « Théâtre et balagan », hébergé par Rue 89). Alors que Marina s’interroge quant à son choix du théâtre comme « média d’expression », (« pourquoi j’y crois encore ? »), énigmatique, elle se coupe la parole: « Parce que depuis les grecs ce n’est pas mort. » A l’origine, le terme squatteur désignait dans les Etats-Unis du XIXème siècle, un pionnier qui s’installait sur une terre inexploitée de l’Ouest sans titre légal de propriété et sans payer de redevance. Redonner de la dignité aux futurs stagiaires en les rendant pionnier sur le territoire de leur cité, pourrait s’annoncer comme une des fins de ce stage mené par l’artiste qui rêve de « lever une armée d’Antigone aux Halles ».

Stage de Théâtre ouvert à tous autour d’A la rue O-bloque du 28 mars au 6 avril 2014 à la Maison de l’Arbre, à Montreuil.

Date de présentations : 5 et 6 avril 2014 à 20h.

Pour plus d’informations : http://www.marinadamestoy.com

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