Scènes de la vie conjugale

Après une renversante Mademoiselle Else (d’Arthur Schnitzler) se jouaient jusqu’à samedi au théâtre de la Bastille les Scènes de la vie conjugale, d’après Bergman.

Ecourtées (le scénario de la série originale de six heures transformé en deux heures et demie de spectacle), coupées, adaptées, (« Nous avons cherché des solutions théâtrales pour rendre compte de scènes du film, comme les repas ou les scènes de lit, qui sont très réalistes mais que nous ne pouvions restituer telles quelles » explique Frank Vercruyssen), ces Scènes ne perdent rien de leur poignant.

On connaît le travail de cette compagnie belge, fondée en 1989, qui s’attache à détruire l’illusion théâtrale – les comédiens s’adressent au public, en tant que public, plus qu’ils ne jouent face à lui. L’impression est saisissante, le spectateur est immédiatement happé par ce qui se passe, ce théâtre en train de se faire – les comédiens attrapent parfois le script et annoncent ce qu’ils seraient supposés jouer. Ce va-et-vient constant entre le jeu et l’adresse au public a pour effet de faire tomber le « quatrième mur », de rendre le théâtre jubilatoire (les nombreux rires en témoignent) et palpitant.

Les Scènes de la vie conjugale sont d’abord celles d’un ménage heureux – deux personnes épanouies, équilibrées, saines, bien dans leur peau. Côté homme, contentement de soi et sens intégré des limites. Côté femme, effacement et douceur, celle d’une mère d’abord. Si l’univers autour d’eux s’effondre – atroce, cette scène avec un couple d’amis invités qui s’écharpent pendant le dîner – eux préservent la bonne marche de leur monde à deux, de leur petite sphère familiale, de leurs intérêts communs.

Un rien, cependant, vient gripper la machine. Rien, ou presque rien, un enfant qu’on n’attendait pas, et dont le sort est rapidement scellé. A quoi bon s’appesantir ? Avorté. Et, sans aucun lien, chez elle, l’envie irrépressible de déglinguer le quotidien, la marche établie des jours et des semaines, des visites familiales et des dîners mondains. Celle de partir en voyage. Puis, la lente dissolution d’un couple, qui se convainc que tout va bien, rien ne pourrait aller mieux. L’amour, ce langage commun qu’on a en partage. La baise, qu’on n’a plus, mais à quoi bon somme toute ? Après treize ans de mariage…

Cependant, il se tire, et c’est la banale histoire de la crise de la quarantaine, avec une petite jeune, qu’on imagine blonde. De là, séparation, revirement et déchirement, jusqu’à la violence d’une empoignade qui les laisse ensanglantés, et rappelle ce que l’amour a à voir avec la mort.

Elle aura eu dans l’intervalle le temps de se découvrir femme, puissance agissante, sûre de son désir et de sa féminité. Dialogue avec un psychiatre qui lui fait prendre conscience qu’elle n’a cherché jusqu’ici qu’à plaire, satisfaire le désir des hommes autour d’elle, son père, son époux, sans savoir ce qu’elle voulait vraiment.

L’amour cependant, qui les réunit encore, et qui les rend amant, alors qu’ils sont divorcés, elle remariée. Et le langage de la vérité qui éclate enfin, après vingt ans, cet amour qui ose se dire sans faux-semblant, en demi-teinte, imparfait. Terrestre.

 

 

MdB

Texte de Ingmar Bergman

Spectacles de et avec Ruth Vega Fernandez et Frank Vercruyssen/tg STAN

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.